"C'était avant..." No Mome's Land, chapitre 1.
10 ans
Quand j’étais petite, j’avais une passion pour les prénoms.
Parce que lorsque je m’amusais à jouer à être une belle princesse, ou une guerrière aux super-pouvoirs qui sauvera l’humanité des forces du mal, je cherchais toujours un joli nom à me donner. Et ça pouvait prendre du temps, cette recherche du pseudonyme parfait.
« On dirait que je serais Machine ».
Et « Machine » se devait d’être le plus joli prénom du monde. Forcément. Parce qu’en plus d’être la plus courageuse/forte/téméraire/charmante ET modeste du monde entier, je me devais aussi d’être celle qui a le plus beau patronyme. Et si possible, de l’exclusif. Du jamais vu. Du m’as-tu vu.
Alors je faisais des listes. Des prénoms inventés, entendus ou lus ici et là, des prénoms toujours originaux, parfois excentriques. Souvent importables, selon l’avis de ceux qui avaient l’impudeur de lire mes cahiers secrets dans lesquels je recensais scrupuleusement chacune de mes aventures imaginaires. (Avis dont je me fichais royalement d’ailleurs, moi qui continuais à me déguiser avec les vieilles robes de soirées de ma grand-mère en rêvant m’appeler Safran d’Intarsia ou Vince Taylor).
OK je sais, j’avais un goût de chiotte petite. Quoique… C’est mignon, Safran, non ?
Bon.
Bref, je me confectionnais des colonnes remplies de pseudos-alias en tout genre, et il était fréquent que je me dise que, tiens, j’appellerais bien ma fille comme ça, oui Lavande c’est très beau pour une petite toute mignonne.
« Mais ça sera pour quand je serai hyper super vieille et que j’aurais un mari trop beau et trop riche et trop intelligent, tout ça. Pas avant d’avoir au moins 20 ou 21 ans, quoi. »
…
Et vu qu’il y avait au moins 4 ou 5 de mes prénoms favoris que je n’arrivais pas à départager, il faudrait qu’on soit productif, l’homme de ma vie trop-beau-trop-riche-trop-intelligent et moi, pour pouvoir les distribuer équitablement. Sans compter qu’il me fallait majoritairement des filles, bien entendu. Pas le choix. Un garçon qui s’appellerait « Cannelle », ça ferait désordre.
Mais ça, c’était avant.
19 ans
Quand est arrivée l’heure des premiers flirts d’ado et des premières histoires de cul de relations sérieuses avec les garçons, alors là, je me suis dit que finalement, j’avais bien mieux à faire que d’aller m’emmerder à fonder un foyer familial super chiant.
Autour de moi, la vingtaine bien acquise, certaines vieilles nanas de la famille s’étaient déjà mis « à la colle » avec le premier (ou le deuxième) venu, se faisant faire un marmot pour être enfin « une vraie femme accomplie ».
Et c’est en pleurant à chaudes larmes qu’elles nous racontaient ensuite comment le-dit chérubin se délestait régulièrement d’un généreux vomito bien gluant sur leur pantalon taille 38 bien trop serré pour elles à présent… Voire comment, à chaque caca débordant et puant, le papa partait en courant pour une urgence subite, laissant sa chère et tendre dans la merde (c’est le cas de le dire).
Car c’est bien connu que nous, les femmes, on adore les tâches ingrates, tout comme les tâches ménagères d’ailleurs (aparté).
Bref.
J’avais une image bien précise de ce que pouvait représenter un petit enfant dans une vie de couple : des emmerdements (au sens propre comme au sens figuré), du bruit, de la fatigue, une voiture moche et plein de bordel dans l’appartement.
Sans compter les autocollants beaufs sur le frigo et les pare-soleils régressifs dans la voiture.
Je passe également la garde-robe qui déteint au fur et à mesure des nettoyages à 90° (pour faire partir les tâches de purée de carotte), et le look général qui se dégrade (plus trop de temps pour le maquillage ou pour un bête brushing inutile).
Voilà, c’était pour moi le début de la fin, quoi. La vieillesse. La tristesse d’une vie faite d’obligations casse-bonbons.
Du haut de mes 19 ans, je prenais comme une acharnée ma pilule contraceptive micro dosée, consciencieusement, en ajoutant parfois une pilule du lendemain si j’avais dépassé le timing quotidien -qui se veut fixe- de quelques heures. Et même s’il y avait usage d’un préservatif (deux ou trois précautions valent mieux qu’une, hein).
Je rajoutais même parfois quelques massages aux huiles essentielles de sauge et de romarin, réputées abortives, quand le stress prenait vraiment le dessus.
J’avais la hantise de tomber enceinte et de me retrouver coincée avec un baveux cracra. Une peur, vraiment. Maladive…
Mais ça, ça… C’était avant.
25 ans
L’âge d’or, si l’on peut dire.
A 25 ans, à moins d’être un génie des études et de faire 2 thèses d’affilé (post-doctorats inclus), ou d’être, à l’inverse, l’image même de l’indécision quasi-irrécupérable (après 2 premières années en fac de lettres il décide de tenter une année d’archéologie, pour finalement se retrouver en école de commerce –ce qui ne l’inspirera que 3 mois- et de se réorienter à la rentrée suivante vers un institut en formation professionnelle de coiffure), on devient indépendant. C’est une période clef dans la vie d’un jeune adulte.
Bien sûr, les jeunes célibataires squatteront encore un max chez leurs parents (ou du moins leur apporteront leur linge sale à laver et repasser), mais à priori, les études sont terminées (même si elles étaient éventuellement longues) et le jeune nouveau diplômé se délecte de son statut tout frais de chômeur travailleur exploité rémunéré (peu, certes, mais c’est un premier pas vers l’échelon professionnel, n’est-ce pas…)
A cet âge-là, il n’est d’ailleurs pas rare d’avoir déjà trouvé chaussure à son pied (ou godasse, ou tong, selon l’éclat amoureux ressenti pour son partenaire du moment) et de songer à quitter papa-maman (et la machine à laver) pour voguer vers de nouvelles aventures en binôme (et avec un fer à repasser à soi).
C’est le moment idéal, selon certains, pour songer à fonder une famille, avec l’achat d’un appartement à crédit (30 ans de dettes), l’adoption d’un chien (ou d’un chat, selon les goûts), l’investissement dans une télé grand écran (pour les matches de monsieur et les films romantiques de madame), et dans une cuisine tout équipée (pour madame uniquement dans la majorité des cas, surtout s’il n’y a pas encore de lave-vaisselle).
Bref.
C’est le début de la fin des haricots, quoi. Ou plutôt, le début des vraies responsabilités d’adulte, et avec elles les envies de se poser de façon stable pour les affronter bien calés, pépère (autant que possible), l’âme sœur du moment à ses côtés (il faut bien quelqu’un sur qui se défouler quand on reçoit une nouvelle facture, surtout si on n’a pas encore franchit le cap du toutou ou du minou).
Que cela dure pour toujours (soyons optimistes, allez), ou jusqu’à la crise de la quarantaine (et le démon de midi qui titille en ravivant tout ce que l’on n’a pas eu le temps de vivre jeune), le nouveau couple fraîchement installé dans son trois pièces tout bien retapé va commencer à songer à se reproduire, et s’il n’y pense pas tout seul, les autres seront là pour le faire à leur place, bien entendu.
« Bon, il ne vous manque plus que le petit bout maintenant ? »
« Vous avez tout ce qu’il faut pour NOUS faire un petit enfant, les jeunes ! »
« C’est quand que vous vous y mettez ? »
« Tiens, vous avez pris deux chambres dans votre appart ? Y’a des projets en vue alors ? »
Etc. etc.
(J’en vois qui se reconnaissent, dans la salle).
Pour ma part, j’étais certainement d’une immaturité abominable car, malgré une relation qui durait depuis plus de 9 ans à cette époque-là, je n’avais pas, mais alors pas du tout envie de ce genre de chose.
Et ce genre de discours me laissait l’encéphalogramme de l’envie totalement plat (juste un sursaut sur « bande de cons » à la fin).
Certes, j’avais bien passé la case « chat » et « appartement », j’avais un travail bien rémunéré trouvé sans problème particulier (belle époque que les années 90), et un statut « en couple » établi et bien moisi depuis le temps, mais.
Toujours pas envie de m’encombrer d’un enfant piailleur. Et j’assume totalement : pour moi c’était certainement pire qu’un boulet au pied. Ça voulait dire « devenir responsable » (voir plus haut), et ça, ça n’était pas dans mes préoccupations du moment.
Non mais franchement, je m’étais assez emmerdée dans mes études depuis tout ce temps, puis dans mon travail au sein duquel je galérais indubitablement pour trouver ma place. Je n’allais pas, en plus, me rajouter une contrainte supplémentaire à l’aube même d’une nouvelle indépendance, qui me laissait entrevoir tous les plaisirs qu’un salaire régulier peut apporter (ou du moins, ce qu’il en reste à la fin du mois). (Soit environ 400FF à l’époque – 60€ aujourd’hui). (L’éclate totale quoi !)
J’avais envie de respirer un peu, de sortir avec mes amis le week-end, de danser, de boire un peu ou beaucoup, de rigoler, de m’amuser, de décompresser, de vivre, quoi !
Et un enfant au milieu de ça, pas possible merci monsieur et au revoir.
Fini l’acné juvénile en plus, ce n’était donc pas le moment de me donner des boutons de souci avec un gamin. Je voulais profiter de ma jolie peau nette et sans rides, et de mes jolis yeux qui commençaient à voir que la personne qui était à mes côtés depuis si longtemps ne correspondait en rien à l’homme idéal que j’imaginais. Gentil et sincère, et qui me fasse vibrer, tout simplement.
Les erreurs de jeunesse sont nombreuses, l’essentiel est de les repérer à temps.
Et sans enfant, si possible.
Car enfant du divorce comme la moitié des jeunes nés fin 1970-début 1980, je sais qu’il n’y a rien de plus problématique que de se retrouver un jour comme une patate cuite dans le plat quand les convives n’ont plus faim, et qu’il y a du dessert au chocolat pour la suite.
A 25 ans passés, je me suis donc retrouvée libérée-délivrée de mes attaches adolescentes pour un garçon qui ne valait pas la peine de mes meilleures années envolées, et bien décidée à prendre ma vie en main.
Professionnellement et matériellement parlant, j’entends. Sexuellement éventuellement (tout à refaire à ce niveau-là).
Vous comprendrez alors que l’enfant était encore pour moi une notion abstraite de vieillesse pas encore annoncée au programme de ma vie.
J’avais tellement le temps d’y penser, n’est-ce pas…
A mon âge de fertilité MAXIMUM, moi je voulais juste qu’on me laisse tranquillement COMMENCER ma vie d’adulte qui s’assume seule.
Et qui veut juste s’amuser égoïstement (ou justement), après des années sacrifiées sur l’autel des diplômes et de la non conscience de soi.
Est-ce si mal que de vouloir vivre un peu pour soi? Doit-on être punie pour cela?
Je ne sais pas. Je ne sais plus.